She, leaves
Projet pédagogique et poétique
Texte, extrait de l'émission"Les culottées, du Genre Humain, diffusée sur Raje en avril 2019
"Comment fait-on dans un monde où les images sont toujours là pour tout dire, tout le temps ? Que disent elles vraiment de notre monde ? Et quand est-il du temps, lui, qui passe sur nos vérités? Qu’en restera-t’ il ?
Comme vous le savez peut être je suis photographe.
Depuis un an maintenant je travaille sur un procédé de révélation photographique que j’appellerai naturel puisque cette technique utilise la chlorophylle et le processus de photosynthèse des plantes pour faire apparaître, sur de fragiles feuilles d’arbres, mes images.
Apparaît alors un visage qui vous regarde, nervuré de fibres, et qui se voit déjà prêt à disparaitre, dans quelques mois, dans quelques années, cela dépend du temps lui-même.
Je suis en ce moment entrain d’utiliser cette technique photographique avec des collégiens de 5ème dans l’établissement nîmois, les Oliviers, et ce jusqu’en mai.
Ce dispositif, subventionné par le conseil Général du Gard et qui s’appelle « Artiste au collège » permet de nouer un dialogue entre les artistes et les élèves autour du processus de création. D’une part, assister à l’acte créatif, ses exigences, ses recherches et ses questionnements pour, d’une autre part, créer ensemble, un œuvre commune.
Impliquée dans l’Association, du même nom que l’émission que vous êtes entrain d’écouter « les Culottées, du Genre Humain » j’ai décidé de tisser avec ces adolescents un dialogue et une création qui viendrait questionner les notions de genres, de vérités et d’éternité.
Pour cela je m’appuie sur un mythe grec, que j’aime beaucoup : le mythe des androgynes, rapporté par Platon.
Ce mythe le voici :
Au début du monde les être humains ne nous ressemblaient pas.
Jadis, ne vivaient que des androgynes formés de deux êtres de sexes opposés ou similaires, accolés l'un à l'autre. Des sortes de boules un peu drôles, faites de deux têtes, quatre bras et quatre jambes
Forts de leur double nature, les androgynes se mirent à défier les dieux et Zeus décida de les punir en les séparant en deux.
Ils donnèrent naissance aux êtres humains tels que nous les connaissons aujourd’hui. Selon Platon, qui fait parler le poète Aristophane dans ce mythe, l'amour ne serait rien d'autre que le sentiment de nostalgie de notre ancienne nature et une quête désespérée de l'unité perdue. L'union des êtres incarnerait une tentative de retrouver le chaînon manquant à travers la recherche de l'âme sœur. On dit bien parfois de l’être aimé c’est ma moitié.
Aidée de ce mythe je fais réaliser par les élèves des séries de double-portraits, fusionnés sur une seule et même image, qui font alors s’unir deux visages, plusieurs identités, plusieurs genres réunis en un seul et même visage, et qui vous regarde.
Une multitude de vérités sur une même feuille, issu du même arbre, nourrit par la même sève et qui pourtant coexistent.
Une coexistence fragile et éphémère, une coexistence entre les espèces et entre les temps.
Quand vous vous promenez dans une forêt et passez à côté d’un vieux chêne ou d’un vieil hêtre, il y a de grandes chances pour qu’ils aient vu naitre vos arrières grands-parents et qu’ils voient aussi naitre vos arrière-petits-enfants.
Les arbres sont partout autour de nous, ils sont la condition de notre existence, de l’air qui insuffle nos poumons, je suis assise sur une chaise en bois qui me tient à distance du sol froid. Lorsque nous naissons le berceau de bois accueille nos têtes frêles et lorsque nous mourrons le bois d’un arbre nous offre notre dernière demeure, un cercueil. De la naissance à la mort les arbres sont partout.
En faisant cohabiter sur les feuilles d’un arbre nos identités, je met en lumière ce qui nous unit tous ; chaque année l’arbre produit de nouvelles feuilles qui le nourrissent, chaque année l’arbre se déleste de ses feuilles anciennes pour qu’en humus elle nourrissent autrement les racines, puis, viendra un nouveau printemps, et de nouvelles feuilles..
Nous sommes à leurs images, capable de vivre par des racines profondes, notre humanité, notre histoire mais aussi et surtout par notre capacité à toujours questionner l’ancien, à savoir aussi s’en défaire pour toujours réinventer le futur,
Un hommage à cette nature qui toujours sait se nourrir de ses ancêtres sans pour autant se refuser de nouvelles têtes.
Car tant que nous penserons nos différences inscrites dans du marbre, jamais rien ne changera. Offrez-les aux arbres, au vent et aux saisons et nous verrons bien ce qu’il en reste !"